Les extraits de plantes sont connus depuis l’Antiquité et sont utilisés par l’homme pour prendre soin de sa santé. Avec l’aide de racines, de décoctions à base de plantes, la phytothérapie est apparue comme une solution à tous les maux quand les médicaments n’existaient pas encore. Cette médecine alternative a aussi été appliquée pour soigner les animaux domestiqués. Aujourd’hui, nous avons à disposition une armada de produits de synthèse pour nous soigner : Homme et animal. En élevage, les extraits de plante ont toujours le vent en poupe : effet de mode ? Réelle efficacité ? Néanmoins l’utilisation des extraits de plantes est soumise à un cadre règlementaire strict et reste complexe pour les professionnels. Alors quelles sont les solutions à base de plantes accessibles aux éleveurs et aux opérateurs de l’alimentation animale ?
Quels sont les différents statuts des produits à base de plantes disponibles pour l’élevage ?
Aujourd’hui l’usage des « extraits de plantes » en élevage est fortement réglementé, il n’est pas possible d’utiliser toutes les plantes brutes, ni à toutes leurs parties (tiges, fleurs, racines) telles qu’elles sont offertes par la nature. L’emploi de produits « transformés » issus de plantes comme des huiles essentielles, oléorésines, extraits hydroalcooliques…ne peut pas se réaliser « librement et sans contrainte ».
3 principaux statuts règlementaires pour les produits à base de plantes
Ces 3 statuts règlementaires sont :
- Le médicament
- La matière première
- L’additif
Les extraits de plantes peuvent aussi être apportés par des prémélanges et aliments composés mais ces derniers sont des déclinaisons des grandes familles ci-dessus. Les frontières entre les différents statuts ne sont pas toujours claires et l’emploi des plantes et de leurs extraits en élevage est un travail complexe qui nécessite de faire appel à des professionnels avertis ayant une connaissance fine des possibilités et restrictions d’usages et qui connaissent parfaitement le cadre réglementaire applicable. Certains produits « frontière » ne sont pas de classification aisée dans un cadre règlementaire qui est étriqué pour ces produits aux propriétés multiples.
Les médicaments à base de plantes :
Dans le cadre d’une prescription vétérinaire, la phytothérapie délivre des médicaments vétérinaires qui apportent une ou des plantes ou extraits de plantes. Ils sont formulés à partir de plantes listées au sein de la pharmacopée française. Cette dernière présente un répertoire de plantes subdivisées en deux listes :
- Liste A : regroupant les plantes médicinales utilisées traditionnellement. Parmi les plantes de la liste A, certaines sont sous monopole et sont strictement réservées à la vente en pharmacie, sur prescription. D’autres sont libérées du monopole pharmaceutique et ont un usage alimentaire et/ou condimentaire. Leur emploi en alimentation animale est cependant délicat et doit être défini au cas par cas.
- Liste B : regroupant les plantes médicinales utilisées traditionnellement en l’état ou sous forme de préparation, dont les effets indésirables potentiels sont supérieurs aux bénéfices thérapeutiques attendus Les plantes de la liste B sont strictement réservées à la vente en pharmacie.
Les médicaments à base de plantes disposent d’une autorisation de mise sur le marché délivrée en amont de leur commercialisation et ont des propriétés thérapeutiques, une efficacité et une innocuité évaluées et pouvant de fait être revendiquées (médicaments par fonction et par présentation). Nous ne détaillerons pas dans cet article les médicaments à base de plantes. Nous préfèrerons développer les apports réalisés via l’alimentation animale.
Les extraits de plantes en statut de matière première pour l’alimentation animale
En alimentation animale, les matières premières sont définies légalement dans le règlement 767/2009 CE et ont pour « objectif principal […] de satisfaire les besoins nutritionnels des animaux […] et sont destinés à être utilisés pour l’alimentation des animaux par voie orale […] ».
Il existe une liste positive mais non exhaustive de procédés et de produits conduisant à un statut de matières premières et utilisables comme telles pour la formulation d’aliments pour animaux, cette liste est légiférée par le règlement 68/2013 CE.
Certains « extraits de plantes » s’insèrent dans cette catégorie de matière première, dès lors que plusieurs critères cumulatifs sont remplis. Nous pouvons citer notamment, entre autres :
- Un apport nutritionnel
- Une obtention par procédés « basiques » défini dans la réglementation
- Une caractérisation strictement nutritionnelle
- Aucune allégation fonctionnelle et des allégations strictement nutritionnelles
Les extraits de plantes en statut de matière première peuvent être mis sur le marché sans évaluation de sécurité par une autorité. La responsabilité de la mise sur le marché est portée par l’industriel commercialisant l’extrait. Par exemple, une épice, constituée d’extraits de plantes broyées par un procédé mécanique comme la poudre de thym présente un statut de matière première, dans la catégorie règlementaire « Produits de la transformation d’épices et d’aromates » et peut, à ce titre être commercialisé, sans démarche technique et réglementaire préalable. Ils font référence à des produits « bruts ».
Les extraits de plantes en qualité d’additifs
Les additifs et prémélanges à base de plantes sont différents des matières premières, ils ne sont d’ailleurs pas régulés de la même manière et font l’objet d’un règlement qui leur est propre : le règlement 1831/2003 CE. Contrairement aux matières premières, les additifs apportent des fonctionnalités, aux aliments auxquels ils sont incorporés.
Des fonctionnalités strictes
Dans le cadre actuel couvrant les additifs, les extraits de plantes peuvent s’insérer dans deux catégories et groupes fonctionnels :
- Les « additifs sensoriels » en qualité de substances aromatiques permettant d’augmenter l’odeur et la palatabilité.
- Les « additifs zootechniques » pouvant avoir des fonctions d’améliorateurs de digestibilité, de stabilisateurs de la flore intestinale ou de bien-être animal
De l’importance de la caractérisation des extraits de plante
Pour pouvoir classifier l’extrait de plante et ainsi répondre aux exigences de mise au marché, il est indispensable de connaitre parfaitement l’extrait utilisé : son procédé d’obtention, sa caractérisation botanique et analytique, la présence de phytomarqueurs, leurs teneurs et leur sécurité…Ce travail scientifiquement exigeant, nécessite une véritable expertise de l’extrait par des professionnels ayant des connaissances botaniques, analytiques et règlementaires.
Quels critères de classification ?
Les extraits de plantes sont considérés comme des additifs lorsque plusieurs de ces facteurs sont réunis :
- Leur obtention passe par des procédés complexes avec souvent des purifications
- Ils contiennent plusieurs substances « actives » sous forme de « phytomarqueurs »
- Des standardisations sont parfois requises pour assurer un apport de phytomarqueurs constant
- Des taux d’incorporation très faibles liés à une concentration élevée en substances « actives ».
Une accessibilité au marché complexe et fastidieuse
Les extraits de plantes en statut d’additifs ne peuvent pas être mis sur le marché, sans une autorisation individuelle délivrée par la Commission Européenne, après que leur sécurité d’emploi et leur efficacité aient été évaluées par l’Agence Européenne de la Sécurité Alimentaire (EFSA). Une mise au marché d’un extrait de plantes en qualité d’additif prend généralement plusieurs années. D’un point de vue administratif, un dossier d’autorisation doit être constitué et déposé auprès de l’autorité Européenne, et doit être évalué par l’EFSA avant de donner lieu à une autorisation légale. D’un point technique, la caractérisation analytique de l’extrait est généralement un travail complexe, il en est de même pour l’évaluation de la sécurité d’emploi sur les espèces cibles à la teneur d’intérêt ou encore pour l’évaluation de la sécurité pour le consommateur final. Ce travail nécessite, de la part du déposant une connaissance fine et très approfondie de l’extrait d’intérêt et de son métabolisme chez l’animal.
Plantes « additifs » ou plantes « matières premières » une frontière parfois très mince
Alors que la définition d’un médicament vétérinaire à base de plantes semble relativement claire, la classification d’extraits de plante dans la bonne catégorie réglementaire : soit additif, soit matière première est paradoxalement, souvent complexe pour les professionnels de l’alimentation animale. Plusieurs produits « frontières » sont difficiles à classifier avec précision dans la bonne catégorie ouvrant la porte à des incertitudes quant aux produits mis sur le marché.
Cette classification n’en demeure pas moins fondamentale pour permettre d’employer et d’utiliser sereinement l’extrait de plante d’intérêt, puisque les règles d’accès au marché ne sont pas les mêmes dans chaque cas.
Quel avenir pour les extraits de plante et produits à base de plantes ?
Le cadre règlementaire des additifs : un obstacle à la valorisation des extraits de plante ?
Le cadre réglementaire actuel amène à la disparition progressive du nombre d’extraits de plantes en statut réglementaire « additif » : peu de professionnels du secteur de l’additif, défendent des extraits à base de plantes complexes. Les coûts d’accès au marché restent élevés pour ces produits, sans retour sur investissements pour les professionnels (autorisations non spécifiques et non liées au déposant). Par ailleurs, l’une des problématiques majeures pour les produits à base de plantes porte sur les allégations. Les extraits de plantes ingérés sont majoritairement autorisés en qualité d’additifs sensoriels. Ces derniers ne peuvent revendiquer que des fonctionnalités sensorielles. Toute autre allégation fonctionnelle passe par un dossier d’additif zootechnique, complexe et coûteux.
Les conséquences d’un cadre un peu trop rigide…
Ce cadre limitant a donc favorisé la disparition du marché de nombreux produits standardisés à base de plantes. Au final peu d’extraits de plantes concentrés vont pouvoir rester sur le marché européen pour une utilisation ingérée, alors que paradoxalement, les solutions à base d’extraits de plantes peuvent être des candidats de choix pour répondre aux challenges sanitaires et sociétaux auxquels sont confrontés les élevages. Mêlant à la fois l’efficacité et une image plus « saine », ce sont des réponses innovantes et alternatives qu’il faudrait continuer à développer.
Un nouveau cadre règlementaire avec de nouvelles perspectives ?
Le règlement 1831/2003 CE constituant le cadre réglementaire actuel pour additifs a été élaboré au début des années 2000. Il avait pour but de favoriser l’innovation. Aujourd’hui, il cantonne les produits à base de plantes à des fonctionnalités d’aromatisation ou de performances zootechniques. Vingt ans plus tard, l’amélioration de la performance des animaux en élevages n’est plus une innovation mais un acquis. Quant à la fonctionnalité sensorielle pour les plantes, elle n’est pas suffisante pour couvrir les produits à base de plantes avec des fonctionnalités innovantes, autres que des fonctions d’aromatisation.
Quid des extraits de plantes pouvant apporter des fonctionnalités autres que sensorielles ou zootechniques ?
Le cadre réglementaire actuel ne prévoit pas cette option. Alors que l’innovation porte désormais sur des produits répondant aux besoins du marché, comme le soutien à la demédication ou la réduction de l’antibiorésistance.
Le cadre règlementaire n’a pas évolué avec les besoins du secteur de la nutrition animale.
La commission Européenne travaille actuellement sur le projet de réajustement visant à adapter le règlement cadre additifs (UE) 1831/2003 pour que ce dernier soit plus en phase avec les attentes sociétales. Gageons que ce projet ambitieux permettra de trouver une juste place pour les additifs à base de plantes, et favorisera l’innovation.